REPORTERS ALGERIE, Quotidien national d'information Maison de la Presse Tahar Djaout
Onzième numéro d’Ineffable, consacré à la diversité culturelle : Une Algérie riche de ses pluralités
Dans un contexte algérien, marqué ces derniers mois par les multiples tentatives de division en instrumentalisant les différences linguistiques, culturelles, régionales ou ethniques, le magazine culturel Ineffable consacre son onzième numéro à la problématique de la diversité en Algérie sous le titre générique « Algérie plurielle : notre diversité nous unit».
A propos du choix de cette thématique en tant que fil conducteur de ce numéro, qui vient récemment d’être mis en ligne, Ilhem Kebir cofondatrice du magazine Ineffable, souligne dans l’édito de ce 11e numéro que «le défi, aujourd’hui, est justement d’avoir une seule Algérie, unie tout en restant plurielle, d’en faire un miroir qui refléterait un visage collectif, dans lequel nous pourrions tous nous identifier ».
Elle poursuit que « pour y arriver, un grand travail d’acceptation et de tolérance est à faire. Qui sait réellement s’il est berbère, arabe, ottoman, kouloughli, rRomain, punique ? Est-il seulement possible d’avoir une seule origine ? » La cofondatrice d’Ineffable magazine, ajoute à propos de l’approche du traitement de la question de la diversité en Algérie, qu’elle soit linguistique, culturelle, ethnique ou tribale, que revenir aux premières origines semble être un choix sensé à première vue, mais effacer des pans de l’histoire, c’est aussi effacer des pans de notre identité. Ahlem Kebir affirme ainsi dans la présentation de l’édito de cette 11e édition que «choisir une seule identité pour un pays comme l’Algérie ne fera qu’aliéner la population, accepter la diversité ne fera que l’enrichir ».
Apprendre et comprendre la culture et le mode de vie de l’autre
Un autre concept inaliénable de la question de la diversité est celle du concept de la tolérance par rapport à ceux qui sont différents linguistiquement parlant ou dans leurs us et coutumes. A ce sujet, Ahlem Kebir estime que « l’Algérie ne peut pas se permettre une tolérance passive. Il ne s’agit pas d’accepter que l’autre existe en toute indifférence, mais d’apprendre et comprendre la culture et le mode de vie de l’autre et d’accepter que quelque part sa culture est aussi la nôtre, car nous demeurons unis par un seul et même pays et une histoire commune ». Tout en reconnaîssant que cela peut paraître difficile, elle souligne toutefois qu’ « à mon avis, il s’agit d’accepter la possibilité d’être plus qu’une seule chose, d’avoir plus qu’une seule culture et plus d’une origine », en concluant que « cette pluralité n’est pas un fardeau à porter, il s’agit d’un droit et d’un devoir. Le droit d’être tout ce que l’histoire nous a permis d’être et le devoir de préserver cette richesse pour les générations futures ».
Ainsi tout au long d’une cinquantaine de pages, les lecteurs peuvent découvrir dans cet article, « Alger du Monde » de Fred Romano, « Rites funèbres et Littérature » de Nélia Salem, « Ouled Nail Dancers : a Fading Memory » de Hamza Koudri, « De la Diversité linguistique en Algérie » d’Adel Hakim, président du Club littéraire de l’étudiant francophone université Hassiba-Benbouali, « Algérie plus réelle ! » d’Oumaima Louafi, de l’équipe de la rédaction du Nomad Club et, également, « Un Petit grain de sable au milieu du Sahara » de Farah Boucherit, de l’équipe de rédaction du Nomad Club, « le Cinéma algérien : un roman aux multiples visages » de Menel Zeggar, « Dzaïr Rihla Fi Zman » de Soumia Acherouf, « Yennayer : le Nouvel an berbère » de Louiza Tilleli Seker, du Club Alumni Hec Alger, « Al-Āla, l’instrument musical comme témoin de la diversité culturelle en Algérie» de Salim Dada, compositeur, musicien, chef d’orchestre et chercheur musicologue.
Dans son article intitulé « De la diversité linguistique en Algérie », Adel Hakim, du club littéraire de l’étudiant francophone de l’université Hassiba-Bendouali, souligne à propos de la diversité linguistique en Algérie que « depuis la nuit des temps, le territoire algérien a été une zone d’influence et de colonisation, partielle ou totale, qui a vu passer les Phéniciens, les Carthaginois, les Romains, les Vandales et les Byzantins. Il y eut ensuite la conquête arabe puis ottomane, en parallèle d’incursions espagnoles avec occupation de quelques parties du territoire algérien. Et c’est en 1830, que la France a décidé de traverser la Méditerranée pour venir s’établir en Algérie. Tout cela a fait de l’Algérie un pays métissé de cultures, de religions et surtout de langues.
L’auteur rappelle dans ce sillage que juste après l’indépendance, et exactement après la fameuse expression du président Ahmed Ben Bella «Vous êtes arabes, arabes, arabes», les gens, à l’époque, avaient peur d’être trois fois la même chose. L’Etat algérien a opté pour l’arabe comme langue officielle et pour le français comme langue d’étude. Mais pas seulement. La langue française dominait dans les journaux, à la radio, et à la télévision. Même les films américains qui étaient diffusés à la télé, depuis cette époque à ce jour, étaient doublés en français. En 2016, après plus d’un demi-siècle d’indépendance, le gouvernement algérien a officialisé tamazight, la langue des autochtones de la région nord-africaine, en tant que langues nationales.
L’auteur de l’article pose ainsi la problématique épineuse en Algérie du nombre de langues qui existe en Algérie et la question centrale : qu’est-ce qu’une langue ? La réponse pertinente d’Adel Hakim est à découvrir dans les colonnes de ce 11e numéro d’Ineffable où il développe une réflexion basée sur une démarche épistémologique appropriée au bain linguistique algérien.
Une diversité qui unit
Par ailleurs, dans un autre registre de la diversité culturelle algérienne, Salim Dada intervient dans ce onzième numéro en tant que chercheur musicologue et chef d’orchestre, avec une contribution consacrée aux instruments de musique.
Ainsi, il explique d’emblée que dans les musiques arabes, le mot āla (plur. ālât) signifie l’« instrument qu’utilise l’homme pour créer des airs, percuter des rythmes ou jouer simultanément plusieurs sons, dans le but de composer des mélodies ou d’accompagner un chant ou d’imiter la voix humaine ou de dialoguer avec elle ». Tout en relatant les différents dénominations de la musique et des instruments de musique dans le contexte culturel maghrébin, il souligne qu’en Algérie, l’usage du mot āla et ālâtî/ālâtiyya dans le parler dialectal remonte très loin.
On y trouve, dès le XVIe siècle, diverses citations dans la poésie dialectale (malḥûn) et les chants du ḥawzî. Les instruments les plus évoqués dans ces textes sont ‘ûd, rbêb, kwîṭra, ṭâr, etc. Tout en expliquant en détail la classification des différentes familles d’instruments selon les divers genres musicaux en Algérie, Salim Dada souligne en tant que musicologue que « l’instrumentarium propre à chaque genre musical comporte, non seulement des instruments particuliers dotés d’une esthétique musicale spécifique, mais renvoie aussi, de par son évolution et sa symbolique, à l’histoire de la société et aux échanges culturels et politiques du pays, ainsi, qu’aux appropriations et aux acculturations qu’ont subi ces genres, et de ce fait, à l’évolution même de la musique traditionnelle à travers les différentes périodes et situations. »
Au final, ce onzième numéro consacré à la question de la diversité sous ces différentes formes en, Algérie apporte un éclairage intéressant à travers divers regards de différentes générations d’intervenants qui apportent un nouveau souffle à cette volonté de plus en plus perceptible chez les Algériens qui aspirent à sortir de la spirale infernale de la division sous toutes ces formes pour un peuple uni dans la fierté de ses différences pour construire une Algérie meilleure.
Khedija Arras